Tout d’abord, la dégustation à l’aveugle c’est quoi exactement? C’est une méthode qui consiste à déguster un vin sans connaître son identité. Cette pratique peut paraître difficile, surtout quand on s’y essaye les premières fois mais c’est également, selon moi, la meilleure méthode pour être le plus objectif possible.

L’influence de notre cerveau lorsque nous dégustons est fascinante. Nous pouvons être influencés par la vue, les odeurs, les renseignements que nous avons sur le vin,… et cela quelle que soit notre expérience par rapport au vin. Notre cerveau peut nous jouer bien des tours. Et je vais étayer mes explications à ce propos dans cet article.

Les deux expériences de F. Brochet

Ces deux expériences se penchent tour à tour sur l’influence de la couleur d’un vin et sur l’influence de nos connaissances, et plus particulièrement sur l’influence de l’étiquette d’un vin. Elles nous démontrent à quel point notre cerveau peut nous influencer pendant une dégustation. Ces expériences ont été menées par trois français (Gil Morrot, Frédéric Brochet et Denis Dubourdieu) auprès d’étudiants à la Faculté d’œnologie de Bordeaux dans les années 2000.

Expérience 1: « Le goût de la couleur »

L’Expérience « le gout de la couleur » a été menée lors d’un cours où on a présenté à des étudiants en œnologie un vin rouge et un vin blanc. On a demandé à ces étudiants de décrire les deux vins à l’aide de descripteurs olfactifs. Mais ce que les dégustateurs ne savaient pas, c’est qu’il s’agissait en fait d’un seul et même vin. La seule différence résidant dans le fait que dans l’un des vins, on y avait ajouté un colorant neutre pour lui donner la couleur rouge. Sur 50 étudiants, 74 % d’entre eux ont utilisé les descripteurs de vin rouge pour décrire le vin blanc coloré en rouge.

Expérience 2: “Le goût de l’étiquette”

Pour cette expérience, on a proposé à la dégustation auprès de 57 dégustateurs le même vin rouge à deux semaines d’intervalle. L’expérience a été à nouveau menée auprès d’étudiants en œnologie. Le même vin a donc été présenté deux fois aux mêmes étudiants sous des étiquettes et habillages différents. La première fois, le vin a été présenté comme un vin « Premier Grand Cru Classé », la seconde fois comme « vin de table ». Au total, sur les 57 dégustateurs, 6 étudiants ne se sont pas fait avoir. Par contre, dans leur grande majorité, les étudiants ont noté de façon supérieure le vin présenté comme “Premier grand cru classé” par rapport au même vin présenté comme vin de table. Au niveau de la notation demandée aux étudiants et qui était sur 20, il y a eu jusqu’à 10 points d’écart entre les deux notes d’un même dégustateur. On constate également de grandes différences au niveau des termes positifs et négatifs employés pour décrire le vin. Il a été observé que les termes négatifs ont été utilisés presque exclusivement pour le vin de table et les termes positifs presque exclusivement pour le “Premier grand cru classé”. Toujours au niveau des termes employés, il est également intéressant de remarquer que des termes pour décrire un vin boisé ont été utilisés pour le “Premier grand cru classé” alors que le vin présenté n’avait pourtant jamais été en contact avec le bois pendant son élevage.

Conclusion

Ces deux expériences sont très intéressantes et nous démontrent que la perception que l’on a d’un vin est, en partie, une construction de notre cerveau. La dégustation à l’aveugle est donc particulièrement formatrice parce qu’elle nous permet d’éviter de trop interagir avec nos connaissances et avec des informations que notre cerveau va vous communiquer avant même que nous ayons dégusté le vin. De cette manière, on contrôle un peu mieux les perceptions que l’on a du vin, sans influence.

Deux façons de traiter les informations

Approfondissons maintenant le sujet. Il existe en fait, pour la dégustation, deux façons de traiter les informations et donc deux façons de déguster.

Le Bottom Up

La première façon de déguster est celle qu’on appelle en anglais le bottom up. Dans ce cas de figure, les informations vont du verre au cerveau puisque l’on sent d’abord le vin et puis que l’on pense. C’est une dégustation qui est basée uniquement sur la perception. Ce processus dépend donc presque uniquement de l’information perçue, il y aura peu d’attente du dégustateur et moins de possibilités qu’il se fasse des hypothèses. C’est le cas de la dégustation à l’aveugle.

Le Top Down

L’autre façon de déguster est celle que l’on appelle en anglais le top down puisque l’on pense d’abord et puis on sent le vin. Je donne ici un exemple: si on sait à l’avance que l’on va déguster un chardonnay qui a été élevé en fût, on va donc s’attendre à avoir des notes liées à ce cépage et à cette méthode d’élevage. On a donc intégré des informations et des connaissances, préalablement apprises, à notre dégustation.

Conclusion

Alors il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon de déguster. Seulement, on remarque que lors de la dégustation à l’aveugle, seule la qualité intrinsèque du vin va normalement jouer, il n’y aura pas d’à priori. Quand on ignore tout du vin que l’on déguste, on ne pourra se rattacher qu’aux informations révélées par la dégustation.

Organiser des dégustations à l’aveugle

Alors me direz-vous comment organiser à la maison une dégustation à l’aveugle? Pour cela, rien de plus simple, il convient de cacher vos bouteilles avec des chaussettes, du papier journal, … L’idéal serait également d’utiliser des verres opaques noirs pour éviter de voir la couleur du vin mais cacher la bouteille est déjà un très bon début si on ne veut pas trop investir au niveau financier.

Évidemment, vous aurez besoin de quelqu’un pour choisir les bouteilles et préparer la dégustation. Je vous conseille, si vous en avez l’occasion, de créer un groupe de dégustateurs. Ensemble, vous allez pouvoir organiser des séances et à tour de rôle une personne différente pourra préparer la dégustation pour les autres. C’est une pratique très enrichissante et stimulante qui est également parfaite quand on souhaite se préparer à des examens de dégustation, comme celui du Wset 3 par exemple.